Akane - She's not an angel...

Le village, peuplé de quelques milliers d'habitants, était camouflé au plus profond de l'inconnu humain. C'est dans cette communauté restreinte, fermée, que je suis née. Je m'en souviens très bien. Les maisons s'élevaient peu, les arbres étaient brûlés de temps à autre, lorsque l'un d'entre nous avait envie de voir les flammes s'emparer lentement du bois. Nous n'étions pas beaucoup, car la plupart des Satanistes se plaisaient à vivre parmi les humains. Mon père, entre autre, c'est pourquoi je ne l'ai jamais vraiment connu. Mais ça ne m'a pas dérangé, j'avais ma mère. Elle était belle, grande, je me souviens parfaitement de son visage et de ses boucles de jais. Ses lèvres se fendaient d'un sourire dès que je lui démontrait ma cruauté naturelle. Ainsi, elle fût ravie de voir que je devenais une jeune fille capricieuse. Elle me céda tous mes caprices. Elle me donna tout. Mais bientôt, tout ne fut pas assez.

Je me rappelle parfaitement de la première démonstration de mon pouvoir. J'avais cinq ans, six peut-être. Ma mère et ma tante m'avaient amenée dans la forêt, « là où l'on trouverait des sujets ». Je n'avais encore aucune idée de ce que ça voulait dire, mais j'allais le découvrir. Ma mère me dit... quelque chose dans ce style :
« Tu dois t'amuser avec cette Homme. Il faut qu'il souffre. »
Elles m'ont laissées seule avec l'homme qui n'a pas tardé à arriver. Je ne sais pas exactement si j'étais consciente de ce que j'allais faire. Je n'avais pas peur, ça, j'en suis persuadée. Malgré mon jeune âge, j'étais sûre de moi. Depuis une demie-décennie, on me considérait comme une princesse, alors il m'était impossible de me penser inférieure à quiconque, encore moins à un banal être humain. Il m'a regardée quelques secondes. Le silence est devenu lourd. Dans ses yeux, je pouvais déceler un océan de compassion, une immense envie de me protéger. Il s'est approché de moi et m'a demandé...
« Tu es perdue ? Tu as perdu ta maman ? »
Un élan de rage m'est venu. Il osait, lui, petit humain ridicule, me parler de ma mère ? Les paroles de cette dernière me taraudaient. Elles étaient de plus en plus présentes, de plus en plus sensées...
Tue-le.
Mon doigt se piqua à l'une des épines de la rose que je tenais. L'humain me l'a arrachée... il était si... imprudent... il l'a sentie, l'a dirigée vers mon nez... L'odeur doucereuse m'a assaillie de plein fouet, j'eus soudainement envie que cet Homme souffre. Il me regardait dans les yeux... D'un coup, j'ai vu cet homme mourir, mais je savais que ce n'était qu'une image de mon esprit. Je savais quand ça allait arriver, où ça allait arriver, comment... Irrésistiblement, j'ai imaginer la mort à cet instant. Plus lente, beaucoup plus lente... L'Homme à lâché la rose mais en m'a pas lâchée des yeux. Il se tordit de douleur au sol, un trou s'ouvrit sur sa poitrine, l'une de ses balles d'armes d'humain à l'intérieur... Son sang coula, se mêlant à l'ocre de la terre, cette terre qui absorbait le liquide pour se teinter de pourpre. J'aimai cette couleur, j'aimai la mélodie des cris de l'Homme... Un large sourire s'étendit sur mes lèvres juvéniles.
Quand ce fût fini, ma mère et ma tante sont revenues. Elles avaient tout vu. Elles souriaient, fières, elles m'ont dit que j'avais là un excellent pouvoir. J'étais heureuse. Le soir-même, mon voisin brûla le corps de l'humain et l'on fit la fête. Les flammes, infiniment plus forte que la matière humaine, la consumait lentement.

Depuis ce jour, je n'ai jamais cessé de cultiver les roses. J'ai vite compris que sans elles, je n'étais plus qu'une insignifiante demoiselle, et cette idée me révulsait. Ma mère m'offrit pour mon huitième anniversaire trente mètres carrés de jardin, et je ne tardai pas à en faire le plus bel endroit qui soit. Tout sentait incroyablement bon la rose... J'en mis sur mes habits, dans mes cheveux, partout. J'étais l'enfant la plus adorable qui soit.
Je n'ai pas non plus cessé de m'entrainer. Les humains étaient faciles à trouver, prêts du village, mais je m'entrainais plus sur les animaux. Trop de morts dans la région aurait causé la suspicion de ces imbéciles d'Hommes. Néanmoins, mes expériences sur ceux-ci étaient de loin les plus agréables, je m'en délectais fort bien. J'appris à ralentir leur mort à un point extrême, si bien que leurs pupilles finissaient par me supplier de les achever. Mes préférés étaient les croyants, ils se tenaient à leur croix avec acharnement, persuadés que leur « Dieu » viendrait les sauver. Leur esprit de donnait aucune résistance, ils étaient tellement ancrés dans leur croyance qu'il ne croyaient pas en ma puissance. Cette dernière accrut de jour en jour. Mes expériences furent de plus en plus variées, tout comme mes capacités. Je réussis à accélérer le processus mortel, mais aussi à le repousser, promettant à mes proches une fin lointaine... à condition qu'aucun être vivant ne se mette en travers de ma route. Dans le village, je ne tardai pas à me faire connaître, et craindre. Même certains Satanistes eurent peur de moi. Après tout, n'étais-je pas une enfant capricieuse et irritable capable de le réduire à néant en un tour de main ?

Malheureusement, mon bonheur surfait ne persista pas. A dix ans et demie, je contrôlais déjà mon don à la perfection, en effet, posséder un pouvoir aussi puissant et difficile à manier me donna le goût de l'effort et du travail récompensé. Mais je commençais à m'ennuyer. J'étais lasse de torturer les chats de mes voisines, avançant leur mort pour la reculer ensuite... Je voulais plus que ça. Je voulais des humains à profusions, des petits êtres fragiles à assassiner sereinement. Alors un jour, je m'en souviens très bien aussi, j'ai fait mes valises, emportant bon nombre de roses et de sucreries avec moi. Et je suis partie, vers la ville des Hommes, celle où mon père et quelques uns des villageois étaient allé, pour rassasier leur soif de sang. On disait que là-bas, on pouvait tuer un humain par mois sans que ça ne se remarque. Que là-bas, les humains se tuaient entre eux, que l'on ne faisait qu'abréger leurs souffrance. C'était le paradis – une expression bien sûr – pour moi. J'ai rejoins mon père. Je lui ai montré mon don, d'abord sur un chien errant puis, comme il se montrait incrédule, sur un être humain. Un type banal, qui lui aussi me prit pour une petite fille vulnérable. J'abrégeai ses souffrances plutôt vite, il ne servait que d'exemple pour mon père, qui se laissa convaincre au bout de quelques secondes. Il était admiratif, mais un peu moins que ma mère. Je ne l'aimais pas. Très vite, il m'interdit de tuer autant d'humains que je voulais, il me dis que je ne devais en tuer qu'un certain nombre. Je me mis en colère. Je partis de chez lui peu de temps après être arrivée, je me mis à tuer de plus en plus d'humain, noyant la peine de mon rejet dans la souffrance d'autrui. En une semaine, j'en tuai cinq. Aucun dans le même quartier, certes, mais quand même. Les humains se sont affolé. Ils ont criés à l'épidémie, au tueur en série (quelle drôle d'invention cette chose que le tueur en série ! En vérité, c'est une sorte d'humain qui se prend pour l'un des nôtres, c'est vraiment drôle !) ou que sais-je. J'ai été obligée de retourner au village. Mais là non plus je n'y suis pas restée longtemps, juste quelques semaines, de quoi m'approvisionner en roses, me reposer et partir. Je suis allée au sud, je crois, ou peut-être à l'est. J'ai rencontré des humains « de mon âge », qui ont vu en moi une jeune fille charmante, qui sont tombés amoureux. Je crois que j'en ai apprécié certains, que j'ai eu envie de les aimer, parfois. J'ai repoussé la mort de quelques uns. Et je suis repartie, toujours plus loin.

Un jour, j'ai eu la chance de tomber sur une autre Sataniste. Elle était un peu plus âgée que moi et elle était très intelligente. Je lui ai expliqué ma vie, mon amour pour les tueries et pour le jardinage. Elle m'a dit qu'il y avait une île sans humains, pas loin. Une ville sans humains ne m'intéressait pas. Je voulais des humains, beaucoup d'humains, pour tous les tuer. Mais l'autre Sataniste a aussi dit que si je continuais à tuer, j'allais me faire attraper. Mettre en cage. Peut-être même tuer. Pour la première fois, j'ai eu peur, peur pour ma peau. La fille m'a emmené au port et m'a dit que peut-être, un jour, des humains viendraient sur l'île pour en tuer les habitants, et que ce jour-là, je pourrais les tuer. Tous. J'avais beau ne pas aimer que mes semblables meurent, cette perspective ne put que me satisfaire. La paix n'était définitivement pas faite pour moi.

C'est comme ça que j'en suis arrivée là, dans ce bâteau douteux qui m'emmène lentement mais surement vers une île de mutants, comme les humains nous appellent. Les passagers se pressent mais ils ne sont pas beaucoup. J'en ai vu de toutes sortes, ça change des humains : des elfes, des hybrides, je crois même avoir vu un garçon qui parlait aux morts. Je ne sais pas trop ce que ça va donner... Et qui vais-je tuer, quand j'en aurai envie ?