Le soleil ne déclinerait pas avant plusieurs heures...J'aurai pourtant bien eu besoin d'un prétexte pour aller dormir. Ou plutôt, simplement fermer les yeux. Il avait beau m'arriver pleins de choses, il me semblait que mon arrivée ici datait d'hier. Et pourquoi ? Ce n'était pas difficile à comprendre ; Mikazuki état irrémédiablement gravée sur ma rétine. A toute heure de la journée je voyais ses grands yeux verts, sa chevelure sombre...et la jolie courbe de sa nuque. J'avais maintenant pris l'habitude de venir m'installer chaque soir à l'entrée de la pension. Mais je ne l'avais pas vu. Même pas entraperçu une silhouette qui pourrait vaguement me faire penser à elle. Trop unique pour que mes yeux puissent la confondre avec quelqu'un d'autre. Je me rappelais de tout : son air désolé quand elle était partie, la veine qui battait imperceptiblement à son poignet, et ses yeux qui clignaient frénétiquement parce qu'elle était gênée, embarrassée. Par qui ? Par moi. C'est vrai que je n'avais pas fait de manière. Je l'avais vu et j'avais tout de suite eu envie d'elle. Un désir étrange. Qui me donnait envie de pleurer ou de faire du mal à mon entourage. Juste être avec elle. C'était tout ce dont j'avais eu envie. Je ne l'avais vu qu'une fois. Mais c'était déjà une fois de trop.
Je ne savais pas très bien ce que je faisais quand je suis entrée dans la pension. Je devais déjà avoir acquis une réputation de SDF maniérée car les personnes présentes dans le gigantesque hall me regardaient d’un air amusé. Je décidais de les ignorer et fonçais dans le premier couloir qui s’offrait à moi. Je tournais à droite, et tombais sur un couloir plus sombre. Les portes se succédaient à quelques mètres d’intervalle. J’y lisais des noms inconnus. Allen Walker. Kirye Akai…Kinsue…lui ne m’était pas inconnu. Une histoire d’anniversaire, je crois. J’étais incapable de me concentrer sur ce nom. Une odeur me montait à la tête. Un mélange de fleur de lys et d’ambre qui faisait presque monter les larmes aux yeux. J’avançai encore. Plus vite. Luna. Lloyd. Alix. Je courais presque. Meiko. Yukiko. Elle était là. Tout près. Nanami. Shikimaru. Takeshi. Non. Plus loin. Juste un peu plus loin. Emiri. Nodoka…
Mika… Zuki…
C’était elle. N’est-ce pas ? Oui, elle était juste derrière cette porte. A moins qu’elle est versé des litres de son sang sur son bureau, elle était obligatoirement là. Plus présente que jamais. J’avais l’impression de voir sa silhouette se découper sur le bois lustré de la porte.
Qu’est-ce que je devais faire ? Frapper ? Dire mon nom ? Elle ne me laisserait peut-être pas entrer… Et puis…si jamais il y avait quelqu’un avec elle ? Une autre fille ! Dans ses bras ! Non, je déraillais. Je l’aurai senti si elle avait été accompagnée. Elle était désespérément seule. Est-ce qu’elle avait besoin de moi ? Là, tout de suite. A quoi pensait-elle ? Que regardait-elle ? Que ressentait-elle ?
Il fallait que j’ouvre la porte. Pour savoir. Pour la voir. Juste un peu. Un entrebâillement. Une rainure de lumière. Pour l’admirer.
Je dirigeais ma main vers la porte, mais celle-ci s’ouvrit toute seule. Et derrière ? Elle. Non, je devenais folle. Savait-elle que j’étais là ? Elle avait son manteau à la main. Allait-elle partir ? Où ? Avec qui ? Que faisait-elle ? Qui était-elle ? M’aimait-elle ? Etait-elle heureuse de me voir ? Je ne savais rien de tout ça. La seule chose dont j’étais certaine c’est qu’elle était plus belle que jamais. Elle irradiait. Je ne voyais rien d’autre qu’elle. Je l’aime ! Et ses yeux. Verts. Exactement comme dans mon souvenir. Ma respiration était saccadée. Je n’en pouvais plus. Je voulais la prendre dans mes bras et lui murmurer…ce que je voulais lui faire. Un chuchotement diffus me disait de lui déchirer la gorge pour me repaître de son sang. Mon instinct de vampire, qui revenait à la charge. Mais c’était tellement peu, comparé à l’amour que j’éprouvais pour elle.
J’ouvrai la bouche pour dire quelque chose mais elle se jetait dans mes bras avant que le premier son ne sorte de ma bouche. Se jeter dans la gueule du loup. Encore et toujours, Mikazuki, tombe dans le piège de mes bras et n’en ressort jamais plus. Je t’en prie. Je passais mes bras autour de son corps si fin et plongeais ma tête dans ses cheveux. Ah…Une odeur de citron. Son shampoing peut-être ? J’avais envie de tout savoir. La tête me tournait. J’entendis une voix. Pas la sienne. Quelqu’un approchait. J’entraînais Mikazuki à retourner dans sa chambre et fermais la porte derrière nous en soupirant d’aise. Seules. Vraiment cette fois-ci. Personne ne pourrait venir nous déranger.
« Mikazuki… »
Je lui relevais la tête et plongeais à nouveau mon regard dans le sien. Pour l’embrasser encore et encore. Testant mes limites. Si j’allais trop vite, je ne pourrais plus me contrôler. Je la retrouvais enfin, la même que la dernière fois, juste avant son départ. La folie me gagnait. Je m’éloignais un peu d’elle avant de perdre pied. Elle semblait n’en avoir pas compris la raison puisqu’elle se rapprochait encore de moi. Ses lèvres effleurèrent les miennes. Mais ça allait trop loin pour ma petite résistance. Je la poussais violemment et l’envoyais sur le canapé qui se trouvait derrière nous. J’avais peur. Horriblement peur de ce que j’avais le pouvoir de faire. La massacrer. La broyer. Cette pensée faisait remonter la haine que j’éprouvais envers moi-même. Et la colère…qui ne s’exprimait pas forcément dans le bon sens.
« Je suis une vampire !hurlai-je en montrant les crocs-grognant presque. »
Je me calmais en quelques secondes et m’approchais de Mikazuki, toujours assise dans le canapé. Je me penchais sur son visage et posais un simple baiser sur son front.
« Aie peur de moi. Juste assez, pour ne pas mourir.»
Parce que j’étais loin d’être infaillible. Et que je ne savais pas vraiment où était la frontière entre la raison et la folie.
« Néanmoins… »
Elle levait le regard vers moi et j’oubliais instantanément ce que je voulais lui dire. J’étais perdue. Je ne m’étais jamais sentie aussi faible. Et en même temps aussi heureuse.